Faut pas payer… Si vous le dîtes !

« Faut pas payer ! » annonce la programmation. Une pièce de théâtre qui porte ce nom, ça sonne comme une invitation… Surtout quand on sait qu’elle parle d’histoires réelles, vécues. De ces pratiques d’auto-réductions dans les années 1970 en Italie ou l’on se servait abondamment et collectivement sans se soucier de régler la note.

Léger faux pas pour ce théâtre bourgeois que de porter de telles affirmations ou bien est-ce de nouveau cette frontière dont ils se jouent et qui délimite si fortement le spectacle du réel ?

En tout cas, la curiosité invite à y faire un tour.

Nous voilà partis avec une amie en direction de ce théâtre dont nous ne connaissions pas même le nom.

Arrivés à destination, on est quelque peu interloqués par le ballet des navettes floquées du logo de la salle et qui déverse ses costard-cravates et autres tailleurs-à-talons venus s’encanailler à voir une pièce « engagée ».

Hé oui, qui dit quartier populaire dit forcément insécurité pour les porte-monnaies bien garnis (si seulement c’était vrai…) et on ne va pas faire prendre le risque au public chouchouté de se faire rayer leurs belles BMW. Ces navettes acheminent donc le public depuis les parkings surveillés du quartier.

Le décor est posé, et nous, on y fait un peu tâche…Mais bon, maintenant qu’on est là.

On se place dans la file pour entrer, armés de deux bouts de papier vite fait griffonnés pour l’occasion avec comme seule inscription « Faut pas payer… héhé ! ». L’employé à l’entrée déchire les tickets à 15€ qui nous précèdent et notre tour arrive.

On lui présente nos « auto-invitations ». Il les lit à voix haute et lève les yeux, interrogé.

– « Ben oui, faut pas payer ! » qu’on lui dit.

Il nous demande : « Un des chefs est au courant ?… »

-Ben non, pourquoi donc ?

A ce moment, ses lèvres se plissent et son regard vire malice.

-Ça…j’aime bien, moi ! Et bien allez-y, entrez et mettez vous à ces places, sur le côté.

Il nous montre du doigt, deux fauteuils vides dans la salle.

-Merci bien.

-Bon spectacle.

 

La salle est bien remplie et la pièce va commencer. L’ employé vient en notre direction et nous lance, au milieu des bourgeois entassés :

-Vous m’aviez demandé à avoir une meilleure place je crois…Si vous voulez bien me suivre.

Agréablement surpris de cette insolence jetée à la gueule de nos voisins proprets et honnêtes, on se lève pour l’accompagner.

-Voici deux fauteuils bien mieux placés… et passez une bonne soirée !

Un dernier regard complice et la lumière s’éteint pour laisser place au spectacle.

 

Pour une fois, le propos de ce spectacle aura trouvé un écho, même de façon très limitée, dans le pied-de-nez de cet employé à son rôle établi.