Pour quelques cents

Bonheur immense de notre époque de faire des files. De perdre de précieux moment à patienter dans les queues de supermarchés, quand ce ne sont pas celles du bureau de chômage ou celles des embouteillages, ou…Bref. Moments perdus à éructer ou se soumettre aux aléas de vies déjà gâchées à travailler et qui ne nous appartiennent pas, ou si peu.

J’étais dans une de ces cohues d’avant week end à patienter devant les caisses d’un des palais de la marchandise où tout se monnaie au prix fort.

A la caisse je passe mes petits paquets. J’en avais pour 4euros six centimes, payable par carte, celle d’un ami, j’étais sorti précipité sans aucun sous cliquetant.

Déjà la conversation s’engage: “Vous travaillez jusqu’à 21h le vendredi?” dis-je sur un ton indigné.

“M’en parlez pas, c’est comme ça depuis 17h!” dis le jeune homme fatigué.

On échange sur la joyeuseté d’un taf pareil et là, la carte ne passe pas.

Je lui dis que je n’ai que ça et pas un sous vaillant.

“Bon, je vous mets ça de côté, il y a un distributeur sur la place”

Je commence à m’éloigner lorsque je me souviens avoir déposé des vidanges avant d’entrer.

Je retourne. Il s’étonne, s’interrompt dans ses bipbip puis je lui montre les bacs où d’autres vidanges avaient déjà été entreposées par d’autres.

“J’en ai mis autant de grandes, autant de petites”, lui dis je en m’excusant plus ou moins

“Bon, je vous fais confiance.” “Merci”

Il compte.

J’avais 3euros80 de vidanges.

“Vous n’avez même pas 30 centimes??”

“Non…”

Il se pencha sur sa machine et fit passer une réduction…

Premier essai, pas suffisant. Deuxième essai: il se repenche et promotionne mes deux produits une nouvelle fois.

Touchant, il avait l’air pour de vrai ennuyé que je doive repatir, revenir, perdre du temps pour 6 centimes qu’il me manquait encore.

“Ok, c’est bon, allez y je les mettrai de ma poche…”

“Pour six centimes vous risquez quoi? Un trou de caisse qui vaille une réprimande du patron?”

Malheureusement, il avait déjà dépensé trop de temps de travail, et sans me parler d’avantage, il retourna au front.

“Bon, alors merci!”

S’était il rendu agréable pour le client que je représentais? Ce ne fut pas ma sensation.

Avait il écourté une situation encombrante pour s’en débarasser au plus vite? C’est probable.

Etait ce une volonté d’entraide profonde? En tout cas, je l’ai reçue pour ce qu’elle était, et le plaisir de quelques mots échangés là, au coeur de ce torrent de stress et de vulgarité marchande, suffit pour avoir envie de le partager.

Aurait il réagit pareil s’il avait su que dans les poches de ma veste s’entassait un plateau de fromages variés?   A discuter…