Un pavé dans la mer

Petite virée entre amis sur une île pour quelques jours tranquilles, à l’écart du speed de la ville.

Pour y accéder, une seule possibilité : la traversée. Au fil des années, et surfant sur la vague touristique dont l’île est la cible, les compagnies maritimes ont nettement augmenté les tarifs et sécurisé l’accès aux embarcations.

Nos sens sont à l’affut des possibilités à explorer pour se faufiler entre les mailles du filet.

Notre première tentative de monter à bord sans ticket échoue sur le premier point de contrôle. On tente alors l’option discussion.

Je demande s’il existe des tarifs réduits pour les chômeurs. Ce à quoi les deux agents me répondent, le sourire en coin :

« Oh vous savez, la compagnie ne fait pas dans la philanthropie !… Mais des tarifs préférentiels pour les retraités où les étudiants, pour les riches, ça oui! »

Commence alors une discussion sur la volonté politique de trier la population qui vient passer du temps sur l’île. Sur les conséquences que cela crée dans les rapports entre les gens. Tout ces natifs de l’île qui doivent la quitter car les prix sont trop élevés pour eux. Toutes ces maisons qui poussent comme des champignons pour n’ouvrir leur volets que quelques semaines par an.

 

Mais avec tout ça il nous faut toujours un ticket pour monter à bord ! Et payer 20euros par personne pour 30 minutes de traversée ne nous enchante pas vraiment…

Une certaine complicité s’étant crée, je tente la question :

« -Et pour avoir le tarif étudiant, c’est nécessaire de montrer une carte ?

-C’est au guichet qu’ils demandent le justificatif, nous, ici, on ne fait que composter les tickets…On va pas commencer à vérifier ce qu’il y a d’écrit dessus non plus ! »

Une amie part donc chercher, armée de sa carte étudiante nos 3 tickets à tarif préférentiel au guichet.

Pendant ce temps, la discussion continue. Un troisième employé nous rejoint et ne semble -pas plus que les autres- trouver un réel développement personnel dans son travail. Ils échangent quelques phrases sur leur boulot et l’un d’eux me confie :

« -Mais tant qu’à faire, y a des tarifs moins chers que pour les étudiants. Pour les chiens par exemple… »

L’autre ajoute :

« -Et le prix des billets devrait même nous être entièrement reversé, à nous les employés, parce qu’on est obligés par le patron à passer après chaque traversée pour ramasser tous les poils qu’ils laissent sur les fauteuils, ces chiens de bourgeois.

-Autrement si vous connaissez quelqu’un sur l’île, vous pouvez aussi trafiquer avec sa carte pour avoir un tarif… Mais moi, je vous ai rien dit ! »

Le premier reprend :

« -Vous savez quoi ? J’ai lu une histoire dans un journal l’autre jour. Un type qui s’est fait contrôler dans le train avec 12 escargots dans une boîte. Il les ramenait dans sa classe pour les montrer à ses élèves… Le contrôleur, bien zélé, lui a fait payer 12 titres de transport pour animaux de compagnie !

-Y en a qui croient un peu trop à leur boulot quand même ! »

On rigole et on monte à bord avec nos trois tickets étudiants qu’ils nous compostent, le regard complice.

 

Une semaine plus tard, c’est le jour du retour. Un peu d’observation sur l’agitation de l’embarcadère. C’est à nouveau l’un d’eux qui contrôle les entrées. On se dit que cette fois, on va tenter de passer avec les billets animaux. Mais, en observant les tarifs, on découvre que celui « enfant de moins de 4 ans » est bien plus avantageux : deux fois moins cher qu’un chien . Sûrement parcequ’il ne laisse pas de poils partout…

On le tente : un ticket étudiant et deux tickets enfant.

De passage au compostage, l’employé regarde un peu plus nos tickets qu’il ne le fait pour les autres voyageurs… cela pour s’assurer que nous n’avons pas payé le plein tarif ! « C’est bon vous avez réussi à avoir un tarif préférentiel ! » On échange une petite blague au passage et nous voilà à bord pour 20 € à trois au lieu de 20€ par personne.

 

Les vagues nous emportent, le vent en pleine face. J’ai le sourire accroché au visage et le moral revigoré à l’idée de me dire que ces employés luttent au quotidien et à leur façon contre la volonté d’aseptiser cette île et sa population.

Ca fait tellement de bien aussi de voir des personnes qui ont gardé ce rapport clair à l’esprit que leur boulot n’est qu’un moyen de subsistance. Que le sens est à trouver ailleurs, dans d’autres aspects de la vie…