Bug à l’escale des arômes

L’autoroute, réseau de transfert à haut débit des corps en survie.

La radio allumée, le GPS branché et le pilote automatique enclenché, nous voilà en sécurité.

Dans cet espace-temps, image de notre époque, les silhouettes inanimées se télé-transportent dans leurs habitacles confinés.

Dans cet univers, encore plus qu’ailleurs, chaque fait, chaque geste est pré-determiné.

Quelques passages par la case péage et une escale toutes les deux heures rythment le voyage.

Les panneaux annoncent régulièrement les particularités locales des tableaux que l’on traverse.

 

Des heures j’en ai passé à surfer dans ce monde aseptisé. Occupé à chercher des places où me faufiler.

Sitôt que mon pouce se lève, l’esprit, lui, se met en veille et attend l’arrivée à destination pour reprendre vie. J’enchaîne les échanges superficiels avec tous ces costards-cravate, commerci-haut placés sur l’échelle sociale et souvent bien fiers de le montrer.

 

“Dans 500 mètres tournez à droite” fait la petite voix électronique. Une pause s’impose et moi, on me dépose! Mon esprit momifié s’apprêtait pourtant à rejoindre les bras de morphée.

C’est une belle, une grande station avec tout ce qu’il faut pour faire le plein… et repartir.

On remplit le réservoir, l’estomac de denrées rares et les poumons de bon air frais. Et puis on passe à la vidange, purger la vessie des gobelets avalés pour rester éveillés. .

Triste réalité…

 

Et pourtant ce jour là, quelques grains de sables sont venus pimenter ma virée. Au coeur de la station, le mur des machines vante les saveurs de ses breuvages à absorber. De délicieux liquides caféinés éco-équitable. “Escale des arômes -Evadez-vous!” annoncent les panneaux… je ne demande que ça!

Mais l’un des distributeurs semble s’être mis en grève. Ayant apparement perdu le sens de son existence, il décide de s’auto-réduire et distribue les mixtures sans réclamer son reste. Une petite fille ayant capté le caractère subversif de la situation, elle se met à soutenir la machine dans son acte de rebellion et viens prévenir un à un tous les briseurs de grève qui continuent d’alimenter les caisses des autres distributeurs. Je regarde la situation, amusé de voir les coups d’oeils discrets en direction des employés, que jettent certains des clients avant de changer de machine et de se servir un breuvage qui, à défaut d’autre chose, a au moins le goût de la gratuité.

Un viel homme fais signe à la fille et lui chuchotte l’importance de la discretion pour faire durer ce moment et ne pas attirer l’attention des employés de la station. Un petit clin d’oeil complice en bonus.

Pour une fois, il semble qu’un peu de vie aie pris place dans cet espace. La file s’allonge et les petits sourires malicieux s’échangent discrètement.

 

Tout à coup, un homme en costard cravate surgit suivi de près par un employé… C’est le gérant de la station. Il traverse la pièce en courant et ouvre la porte qui donne sur l’extérieur, jette un oeil sur le parking et pousse un soupir. Après quelques secondes il s’en retourne à son bureau, le visage dépité.

La distribution gratuite, interrompue pour un instant, reprend du service.

Quelques minutes à peine et c’est la même scène. Le gérant refait son cirque et cette fois crie de rage son amertume: “Chaque fois c’est pareil… et ils savent bien qu’avec des plaques étrangères on ne pourra jamais rien leur faire!”. Des petits malins se sont servis à la pompe sans passer par la caisse…

 

En discutant, je trouve une voiture pour finir ma route et quitte cette station, ma foi, bien plus accueillante que ses concurrentes. Quel plaisir que ces petits instants ou les failles de la machine capitaliste sont explorées, donnant -qui sait?- peut-être l’envie à certains de l’enrayer définitivement…